UNIVERSITE PAUL VALERY – MONTPELLIER III
UFR V – Sciences du sujet et de la Société
Département de Psychologie : Mémoire de Recherche
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Introduction
Dès l’âge néolithique, l’homme utilise les boissons alcoolisées comme un cadeau des dieux. Walkyries remplissant les cornes d’hydromel durant les festins d’Odin au Walhalla, dans lesquels se retrouvent les guerriers glorieux. La bière représentée à Babylone par la déesse Nidaba (4000 av. JC) semble avoir été une boisson courante dans toute la Mésopotamie et la boisson nationale de l’Egypte du troisième millénaire avant notre ère. Le vin, en Egypte antique, est la boisson d’Osiris (dieu de la mort et de la renaissance), la boisson et l’esprit de Dionysos (dévoré puis ressuscité) pour la Grèce. Noé en état d’ivresse, construit l’arche afin de sauver la vie sur terre. Bières, vin, hydromel sont donc les breuvages et les esprits des dieux ayant traversé la mort pour mieux la vaincre; mort du corps et réincarnation de l’âme, lien entre l’homme et le divin, entre la vie et l’au-delà ; il n’y a donc rien d’étonnant à ce que « cette molécule merveille, puisse un jour devenir molécule de mort » (Fouquet, 1990), et réciproquement.
Le terme alcoolisme, introduit par M. Huss, en 1848, désigne « un ensemble de manifestations pathologiques du système nerveux, dans ses sphères psychiques, sensitives et motrices, qui s’observe chez les sujets qui ont, pendant une période prolongée, bu de manière continue et excessive des boissons alcoolisées » (in Kapsambelis, p.770). Fouquet (in Descombey, p.3) en 1955, met l’accent sur l’aspect addictif de l’alcool et l’impossibilité de s’en abstenir: « est alcoolique tout homme qui a, de fait, perdu la liberté de s’abstenir de consommer de l’alcool». Le terme d’alcoolisme, par trop stigmatisant et réducteur à une seule toxicomanie, s’est vu remplacé par le terme d’addiction. Du latin ad-dicere dire à », ce terme exprime une appartenance en terme d’esclavage. Goodman (Laquelle, in L’information psychiatrique, 85, p.611-620) définit l’addiction comme « un processus dans lequel est réalisé un comportement qui peut avoir pour fonction de procurer du plaisir et de soulager un malaise intérieur et qui se caractérise par l’échec répété de son contrôle et sa persistance en dépit de conséquences négatives ». Ces définitions et cette rapide présentation historique de l’alcool et de l’alcoolisme nous paraissaient essentielles comme préambule à la présentation du contexte dans lequel notre étude s’est déroulée.
Cadre du travail de recherche
Notre étude et l’investigation de notre champ de recherche concernant la maladie d’alcool, s’est faite dans le cadre d’un stage d’étude de master un de psychologie clinique au sein d’un centre postcure d’alcoologie dans un hôpital local de la région Languedoc-Roussillon. Tous les patients participant à la cure ont suivi un sevrage de douze jours au sein de différentes structures régionales et sont suivis au sein d’un groupe de huit personnes pendant cinq semaines par une équipe thérapeutique pluridisciplinaire. Les nouvelles entrées et les sorties se faisant de façon hebdomadaire et irrégulière, le groupe de patients, et donc sa dynamique, se modifient en fonction des sorties des » anciens » et des entrées des » nouveaux » patients. Le centre hospitalier en plus du service alcoologie, possède un EHPAD, un service d’urgence et propose des permanences médicales.
La première chose qui nous interpelle vis-à-vis des patients est leur diversité sociale et culturelle. En effet, les patients qui s’y côtoient ne se seraient sans doute jamais rencontrés hors de ce contexte, et pourtant ils semblent tous être en communion autour d’un point commun : la dépendance alcoolique. Cette pathologie semble agir comme si elle avait le pouvoir d’effacer les différences sociales mettant en relation par exemple un douanier avec un ancien toxicomane ou un cadre dirigeant avec un sdf. Notre rencontre avec la clinique de la maladie d’alcool et plus spécifiquement avec L. s’est faite en 2013. Dès son arrivée, L. interpelle par sa façon d’être. Abstinent depuis douze jours, L. intègre le groupe de patients avec O., un autre patient plus jeune. Le groupe est alors constitué de huit personnes sevrées aux parcours de vie, âge et milieux sociaux différents. Arrivé en matinée un lundi accompagné par ses parents, il participe au déjeuner pris en commun sans se présenter d’emblée. Seule la sollicitation de la part d’un autre patient va permettre de connaître son nom. Je le sollicite, en fin de semaine et après l’accord de la psychologue référente, afin de participer à notre recherche en lui exposant qu’elle se constituera d’entretiens et de la passation de tests projectifs (que je lui expose brièvement). Sans enthousiasme particulier, mais nous semble-t-il plus par soumission, il accepte tout de même de nous voir en entretien le lundi suivant, mais émet des réserves quant-aux tests. Par la suite, je le verrai en entretien individuel quatre fois en tout, dont trois sans la psychologue référente. Il acceptera, à la suite du deuxième entretien, de » se soumettre « à la passation des tests après qu’un autre patient se soit porté volontaire. Le dernier entretien se déroulera pendant sa dernière semaine de postcure, suite à son week-end thérapeutique (retour dans le milieu quotidien et familial).
Un deuxième aspect est particulièrement surprenant lors du premier contact avec ces patients : les quantités absorbées par jour sont absolument faramineuses et sans que cela semble interpeller particulièrement les patients malgré les conséquences physiologiques souvent désastreuses (pancréatique, cancers, cirrhose…). En effet, ces conséquences liées à une consommation chronique et massive d’alcool n’arrêtent pas le patient dans sa logique répétitive.
Problèmes de terrains
Il semblerait que la souffrance à l’origine de la prise d’alcool soit tellement intense pour les patients que les effets négatifs induits ne constituent en rien un frein à sa prise, ou dit autrement, que le plaisir procuré par la toxine est plus important que le déplaisir qui en découle. D’où nos interrogations concernant la problématique alcoolique : pourquoi un individu malgré les conséquences négatives continue-t-il à s’alcooliser ? Quelles sont les raisons poussant un individu à tout perdre dans le seul but d’être ivre ? Quelles souffrances le sujet alcoolique cherche-t-il finalement à oublier ? Quelle réalité semble tellement insupportable qu’ils préfèrent aller à une autodestruction ? Si le sujet se sent « vivant » grâce à l’alcool, peut-on envisager qu’il se sente « mort » sans le soutien de cette substance ? Ou l’est-il déjà, l’alcool lui permettant justement de vivre ? L’alcool peut-il représenter une défense contre une dépression ? Quel vide l’alcool viendrait-il alors combler ? Est-il en lien avec un défaut des tous premiers accordages entre mère et nourrisson ? Et si l’inaffectivité et l’immobilisme psychique vise à éviter toute vitalité qui risquerait de provoquer le déclenchement d’affects destructeurs ou autodestructeurs, peut-on considérer alors la dépression comme un mécanisme de défense ? Peut-on envisager que les défenses mises en place ne soient pas suffisantes pour que le sujet ait besoin de l’alcool ? L’alcool aurait-il alors, pour le sujet, une fonction désinhibante des affects et de décharge des pulsions dans une lutte pour l’existence du moi dans une revendication au droit d’exister ? La contrainte de répétition de l’acte addictif ne renvoie-t-elle pas à la compulsion de répétition inhérente à un traumatisme réel et aux traumatismes cumulatifs ?
Hypothèse intuitive
Si toutes ces questions dans ce travail ne trouveront pas de réponses, à la vue de la situation de L., nous postulons que la dépendance alcoolique pourrait être due à un traumatisme physique précoce, dont les contre investissements postérieurs à celui-ci, effectués par l’adulte, ne permettraient pas de réparation psychique efficace. L’inhibition, tant sur le plan verbal que sur le plan de la relation transférentielle, exprimée par un gel des affects, constituerait un mécanisme de défense contre l’objet devenu intrinsèquement menaçant pour le Moi.
Dans le cadre de notre recherche, nous nous proposons maintenant de présenter les différents auteurs ayant traité de ce sujet; ces auteurs se trouvent être majoritairement issus de la psychanalyse. Le choix du champ théorique psychanalytique se justifie d’une part du fait du nombre de chercheurs issus de la psychanalyse ayant travaillé sur ce sujet, et d’autre part de la relative absence d’autres travaux via d’autres approches cliniques. Les travaux effectués en psychologie comportementale et dans les approches psychobiologiques, s’ils présentent un intérêt certain, nous semblaient non pertinents dans le cadre d’une recherche qualitative sur le thème de la dépendance alcoolique. De plus, notre choix du champ psychanalytique nous semblait pertinent par ses apports méthodologiques, apports que nous exposerons dans la suite de notre travail.
Dans cette perspective, nous ferons dans un premier temps un aperçu de la question de l’addiction du point de vue psychanalytique et plus particulièrement de l’addiction alcoolique en abordant les auteurs précurseurs et leurs héritiers. Un deuxième temps présentera les concepts théoriques relatifs à nos hypothèses intuitives qui nous amèneront à débattre théoriquement à partir de notre cas pour permettre la formulation de notre hypothèse scientifique opérationnelle. Dans une troisième partie, nous exposerons nos choix méthodologiques découlant de notre champ théorique et nous les justifierons. L’analyse des données de terrain, leurs interprétations et les résultats obtenus constitueront une quatrième partie. Enfin, une dernière partie s’appliquera à discuter nos résultats et exposera les limites de notre travail.
Psychanalyse et addictions
Les précurseurs
La psychanalyse ne s’est intéressée que tardivement aux phénomènes des addictions. Freud a peu écrit à ce sujet. Grand amateur de cigares, quelques temps amateur de cocaïne, l’époque était plus aux vertus médicinales des drogues qu’à leurs stigmatisations. Plusieurs textes de Freud, écris entre 1884 et 1887, attestent, par exemple, des effets bénéfiques de la cocaïne. Dès 1890, Freud procède à un premier regroupement des » habitudes morbides » en s’attachant dans un premier temps à rechercher l’origine de la dépendance humaine aux premiers stades de la vie psychique en reliant la masturbation et la toxicomanie à une fixation orale. L’usage d’une substance servirait alors de substitut à un manque de satisfaction des premières pulsions sexuelles. En 1908, il déclare dans une lettre à Karl Abraham que « tous nos breuvages enivrants et nos alcaloïdes excitants ne sont que le substitut de la toxine unique, encore à rechercher, que l’ivresse de l’amour produit » (Audibert, in Sur les addictions, p.8). Il y voit un processus d’autopunition réprimé de l’activité masturbatoire.
A sa suite, Karl Abraham en 1908, écrit un article intitulé « les relations psychologiques entre sexualité et l’alcoolisme », dans lequel il associe alcoolisme et homosexualité inconsciente figurée par les groupes d’hommes aux comptoirs des bistrots. Ferenczi quant-à lui insiste sur le facteur médicamenteux de l’alcool dans lequel « pour certains sujets la boisson est une tentative inconsciente d’auto guérison par le poison, d’autres névrosés, au risque de sombrer dans l’alcoolisme chronique, emploient ce produit, consciemment et avec succès, comme médicaments » (S. Ferenczi, 2008, p.82). Pour lui, l’alcoolisme « menace plus particulièrement les individus réduits par des causes psychiques à faire appel dans une plus grande mesure aux sources de plaisirs extérieurs » (Ibid., p.83). Une faiblesse psychique due à des traumatismes précoces comme origine du processus d’addiction est ainsi posée.
- Tausk (in Mijolla et Shentoub, 1973) voit dans l’alcool une possible augmentation du sentiment du Moi, qui en écartant les inhibitions, supprimerait un grand nombre de dépressions. L’alcool serait recherché ensuite dans le but d’accéder artificiellement à un état que l’homme sain possède à peu près dans son état naturel. Le lien entre alcoolisme et homosexualité, ainsi qu’entre alcoolisme et narcissisme est ici souligné.
- Rado (1975), quant-à lui, insiste sur la dimension dépressive qu’il nomme » dépression anxieuse » et rapporte le rôle de pare-excitation du produit qui soulage les tensions, organise la personnalité et régule l’humeur par un cycle « pharmaco thymique « . La prise du produit procure au sujet un plaisir pharmaco-génique engendrant une euphorie. Il décrit le psychisme du toxicomane comme un appareil de plaisir auto-érotique qui recours au produit pour retrouver son narcissisme originel. L’auto-érotisme, venant remplacer la jouissance génitale, devient le but sexuel ultime.
- Glover, en 1932, parle des drogues comme d’une contre-substance externe qui guérit par destruction. Il note, comme facteurs étiologiques de l’alcoolisme, une modification de l’instinct fixé au stade sadique oral suite à une excessive frustration au stade oral. Un trouble du développement du Moi, qui du fait de l’ambivalence de ses relations objectales, est surchargé par la libido narcissique. Le sujet craindrait d’aimer tout individu qui ne puisse être identique à lui-même ; l’identification projective utilisée comme mécanisme de défense en témoignerait. Une sévérité particulière du surmoi, du fait de la fixation ou la régression vers des impulsions primitives, rend le sujet incapable d’adaptation aux exigences pulsionnelles. L’alcool serait alors choisi comme substitut à la sexualité ou tout du moins comme méthode de court-circuitage de la sexualité, méthode qui, dans le même temps, relâcherait la pression du refoulement et renverserait les processus de sublimation.
Pour P. Schilder (1941), le problème de l’alcoolisme aigu est essentiellement social, dans le sens où l’alcool permettrait à l’individu d’appartenir à un groupe qui le reconnaît et l’accepte. L’intoxication alcoolique aiguë procurerait alors à l’individu le désir d’être aimé et apprécié. Il se sent accepté par les autres. L’alcoolique chronique quant-à lui serait une personne qui, depuis sa plus tendre enfance, aurait vécu en état d’insécurité vis-à-vis de sa relation parentale surtout vis-à-vis du père. L’alcool venant ici donner une sécurité relationnelle et une acceptation de l’entourage. La sphère sociale est donc centrale dans cette approche.
Pour R.P. Knight (in de Mijolla et Shentoub, 2004, p.102-103), l’alcoolisme est plus un symptôme qu’une entité morbide, dont l’origine est psychologique, dans une tentative de soulagement des conflits émotionnels préexistants combiné à des facteurs héréditaires. La mère est décrite comme excessivement indulgente et protectrice ce qui conduit l’enfant à une inadaptation à la réalité, vécue comme toujours frustrante, provoquant un sentiment de trahison. Les personnes alcooliques ont donc été des enfants et des adolescents difficiles ayant des pères généralement froids et se tenant à l’écart de la famille. La mère sert d’intermédiaire dans les contacts entre le père et les enfants, mêlant indulgence et sévérité.
Enfin, Fenichel (1945) rapproche les toxicomanies des « névroses impulsives » et donc du concept d’acting-out. L’acting-out représenterait des tentatives de maîtrise des expériences traumatiques au moyen de la répétition et de la dramatisation, tentatives de maîtrise de la culpabilité, de la dépression et de l’angoisse par l’action. Ces tentatives seraient en rapport avec des attitudes contra-phobique. L’alcoolisme, son origine et sa nature, seraient déterminés par la structure psychologique du sujet, marquée par une insatisfaction chronique. Les frustrations externes et internes, insoutenables pour le sujet, provoqueraient le recours à l’alcool afin de rendre solubles les inhibitions internes venant du Surmoi. Le patient alcoolique serait alors caractérisé par une personnalité pré-morbide orale et narcissique, dont les constellations familiales difficiles seraient la source de frustrations orales particulières. Chez les garçons, les frustrations provoqueraient un éloignement de la mère frustratrice et les rapprocheraient du père, créant des tendances homosexuelles plus ou moins refoulées.
Les auteurs modernes
Joyce McDougall désigne l’addiction comme un ensemble de comportements caractérisés par l’agir et la dépendance, et par certaines » déviations sexuelles « . Les addictions révéleraient l’incapacité à tolérer la douleur psychique dont le sujet tente de se protéger par les addictions. Les addictions deviendraient alors une forme de restitution d’un espace transitionnel défaillant via des » objets transitoires » (McDougall, 1989). Puisque » aucun objet réel ne peut remplacer l’objet fantasmatique (qui manque ou qui est endommagé) dans le monde interne, la substance maternante-apaisante doit être constamment recherchée dans le monde du dehors […]. Alors qu’elle joue en fait le rôle des activités ou des objets transitionnels de la première enfance, il ne s’agit pas d’un véritable objet transitionnel » (McDougall, 1989, p.183). Les addictions deviennent donc un palliatif à l’échec des processus d’intériorisation de l’objet (Pedinielli and all., 1997). Les addictions, selon McDougall, sont des actes-symptômes dans leurs aspects immédiats et répétitifs. Aspects qui impliquent l’échec de la fantasmatisation et de l’internalisation de l’objet où les objets substitutifs externes jouent la fonction d’un objet symbolique manquant ou abîmé dans le monde psychique interne (McDougall, 1978). La dépendance est donc à mettre en lien avec ce qui conditionne la constitution de l’objet dans les premiers échanges physiques et affectifs entre la mère et le nourrisson. Les fonctions de l’économie psychique constituent donc une fuite des situations anxiogènes, et une évacuation des affects dans lesquelles les sujets utilisent l’action comme défense contre la douleur psychique (McDougall, 1989). La fonction de rejet des affects (forclusion des affects) est ici à rapprocher des symptômes psychosomatiques. La décharge dans l’agir est un mode de défense qui permet de maintenir l’équilibre psychique chaque fois que l’équilibre économique est menacé, soit sur le versant objectal, soit sur le versant narcissique (Pedinielli and all., 1997). Le sujet addictif se trouverait dans une position où son organisation psychique n’est pas à même de lier représentation et affect, ce qui ne lui permet pas une adaptation adéquate à ses irruptions d’affects. La personne alcoolique » érige donc un mur, un rempart contre le risque d’écroulement » (Ibid., p.60). La fonction défensive de l’objet d’addiction désigné comme « objet transitoire » est ici comprise comme un substitut de l’objet transitionnel, nécessaire à la constitution de l’identité du sujet.
J-P. Descombey, se fonde sur la définition de l’alcoolique vu comme » un homme ayant de fait perdu la liberté de s’abstenir de consommer de l’alcool » (Descombey, 2005, p.3), et postule que l’alcool est une prothèse narcissique. En effet, » les liens affectifs contractés (par l’alcoolique) portent la marque du défaut narcissique. La perte d’une épouse, l’abandon qu’elle représente entraîne un effondrement dépressif, dépression anaclitique plus que dépression élaborée de perte d’objet » (Ibid., p.41).L’alcool serait un auto-érotisme visant à » modifier par soi-même le ressenti de son corps propre, d’y combler un vide, d’y apporter une harmonie toujours à reconstituer » (Ibid., p.41). Les objets d’amour sont traités comme des objets partiels dont le plaisir retiré est un plaisir d’organe. Ce défaut fondamental dans la relation d’objet serait à chercher dans l’amour primaire, unissant normalement l’enfant à son environnement précoce et immédiat, spécialement maternel. D’où la recherche permanente et toujours déçue pour le sujet, d’une relation duelle, harmonieuse et a-conflictuelle. Il propose, quatre concepts fondamentaux décrivant le dépendant alcoolique : l’a-somatognosie-gnosie où le corps propre est ignoré. Le corps est vécu comme un corps non habité par le sujet-propriétaire, vécu comme un accessoire extérieur à lui, voire étranger. L’a-noso-gnosie où le sujet ne veut rien savoir, ni des lésions des organes, ni de la conduite addictive. On assiste à une véritable négation du mal, tant sur le processus de dépendance que sur les conséquences organiques. L’a-thanato-gnosie, où le sujet se croit en quelque sorte immortel, » la mort [….] est chose indicible, non représentable » (Ibid., p.39). La mort serait à relier à l’absence de temporalité, conceptualisée par l’a-chrono-gnosie, où le temps est télescopé avec le gommage des différences générationnelles. Jean Paul Descombey s’attache à décrire le mécanisme de défense essentiel de la personne alcoolo-dépendante : le clivage. Le clivage serait caractérisé par un Moi constitué d’un Moi alcoolique, où la réalité extérieure et intérieure seraient condensées en un seul objet : l’alcool, et d’un Moi non alcoolique utilisant les moyens défensifs névrotiques, psychotiques, et pervers comme le refoulement, l’isolation, l’annulation. La problématique alcoolique ne serait ni une névrose, ni une perversion, ni une psychose. Elle serait à distinguer de la problématique névrotique classique dans le sens où, pour un même sujet, la face névrotique peut être supplantée par la face non névrotique. D’autre part, si le clivage peut faire penser à la perversion, le déni de castration ne domine pas, selon cet auteur, la problématique de ces patients. La problématique essentielle concerne l’identité, l’existence même de la personne comme sujet à part entière. Enfin, la bonne adaptation vis-à-vis de la réalité, voire une sur-adaptation, le bon maniement du langage, ainsi que le temps vécu de l’alcoolique ne sont pas ceux du psychotique (Descombey, 2005).
Pour S.A. Shentoub (1973), l’acte de boire des alcooliques chroniques est une tentative réussie de maîtrise de la réalité extérieure, dont la finalité est la décharge pulsionnelle passive dans un acte auto-érotique renvoyant au stade d’organisation libidinale précédant la synthèse narcissique instaurant l’unité du Moi. L’acte de boire serait alors investi comme un moment de toute puissance narcissique et de maîtrise motrice. Acte à rapprocher de l’expression des besoins du bébé, qui ne réagit au monde extérieur que dans la mesure où ce dernier est susceptible de le satisfaire. » Cet acte, par sa fonction de fixation après coup et l’engloutissement du passé qu’il réalise, doit prendre en quelque sorte la place des traces mnésiques préexistantes, comme pour en masquer irrémédiablement les empreintes. Ce processus nous paraît différent du refoulement au sens classique du terme, et nous pouvons nous demander si l’acte de boire n’est pas le seul représentant possible, enfin trouvé par le Moi, de souvenirs traumatiques très archaïques, marquages corporels surtout, n’ayant jamais réussi auparavant à se lier à des représentations visuelles ou verbales pour s’abréagir et qui, par le silence psychique de leurs permanentes excitations pulsionnelles, auraient perturbé très précocement tous les processus de maturation psychique et d’organisation libidinale des sujets qui en étaient victimes. C’est cette quantité d’excitations en suspens qui conférerait, après coup, sa valeur traumatique à la rencontre initiatique avec l’alcool et ferait ainsi le lit d’une compulsion de répétition » (Ibid., p.433-434). En résumé, pour cet auteur, des traces mnésiques potentiellement traumatiques, surtout d’ordre corporel, vécues dans la prime enfance combinées à une carence très importante du milieu familial surtout maternel, seraient réactivée, après-coup par la rencontre initiatique avec l’alcool. Rencontre permettant au Moi de trouver un moyen de lier affects et représentations par l’acte de boire entraînant sa répétition compulsive, seule solution trouvée pour constituer l’unité du Moi défaillant. L’alcool permettrait la maîtrise de l’objet qui devient disponible immédiatement et donc permettrait la satisfaction narcissique primaire, c’est à dire l’expression masochiste de pulsions sadiques contre l’objet dues aux frustrations vécues précocement mais inexprimables. L’évitement de la situation œdipienne serait aussi permis par ce biais. Cela dans un Moi alcoolique permettant à un Moi non alcoolique de s’exprimer.
Cette revue d’auteurs non exhaustive montre qu’un consensus semble se dessiner quant aux addictions avec objets. La prise de produits serait donc un moyen de défense progressif et solide contre une faille narcissique et objectale, dont l’origine est à chercher dans un milieu familial carencé, particulièrement maternel, ne permettant pas une adaptation adéquate à des événements de vie ce qui provoquerait un sentiment de vide. La prise du produit permettrait leurs contournements, qu’ils soient de type narcissique (liés à l’idéal du moi) ou objectal (liés au relationnel), afin de réduire l’intensité de l’excitation. A la fois narcissique et objectale, interne et externe, la toxine préserve le Moi, comble un sentiment de vide insupportable et aurait une fonction de lutte antidépressive, et narcissique, dans une tentative de survie psychique. Cette interprétation, si elle vaut pour les dépendances avec objet, ne doit évidemment pas nous faire perdre de vue que les dépendances avec objets ne sont pas les seules existantes. En effet, même si elles ne seront pas traitées ici, il existe des dépendances sans objet, comportementales, comme l’addiction aux jeux, impliquant une appréhension et une compréhension spécifiques. Dans la partie suivante de notre travail, nous nous attellerons à décrire et expliciter une situation clinique de dépendance avec objet.
Cadre Pratique
Les hypothèses intuitives que nous avons exposées précédemment, nous amènent maintenant à les débattre théoriquement afin d’en éprouver la solidité et de formuler une hypothèse scientifique. Nous aborderons donc dans cette partie le caractère unique, massif du traumatisme, le rôle de l’environnement dans l’élaboration des contre-investissements en lien avec la capacité d’ajustement de la mère aux besoins de l’enfant, et les conséquences psychiques d’un traumatisme non réparé qui peuvent en découler.
Aspects théoriques
Le traumatisme
- Laplanche et J.B. Pontalis définissent le traumatisme comme un » événement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique » (Vocabulaire de la psychanalyse, 1967, p.499). La rencontre avec l’agent traumatisant peut donc avoir ce caractère unique, massif, de tension excessive qui submerge le sujet. Il peut être de nature sexuelle, mais pas nécessairement. Nous allons maintenant en décrire son processus.
La soudaineté de la commotion est cause d’un grand déplaisir pour l’enfant. Ce déplaisir, qui ne peut pas être surmonté du fait de l’impossibilité de transformation de l’environnement qui mettrait à l’écart la cause du trouble, et l’impossibilité de la production de représentation concernant le changement futur de la réalité dans un sens favorable, font que l’événement fait traumatisme (S. Ferenczi, 2006). Ferenczi insiste sur le rôle de l’environnement adulte dans sa fonction de réparation vis-à-vis de l’enfant. En effet, si les adultes offrent à la suite de l’événement une réassurance, l’angoisse peut être calmée et le traumatisme réparé. Le secours de l’environnement extérieur, » permet alors une relaxation complète, même après un trauma commotionnant, de telle sorte que les forces propres de la personne commotionnée, non perturbées par des tâches extérieures de précaution ou de défense, peuvent être consacrées, sans être dispersées, à la tâche intérieure de réparation des perturbations fonctionnelles causées par la pénétration inattendue » (Ibid., p.98). Cette réponse adéquate, lorsque le traumatisme survient à un âge précoce, est en lien avec la capacité de l’objet d’attachement premier à y répondre, c’est-à-dire de la mère.
Les relations primaires de l’enfant avec l’environnement.
La mère, objet d’attachement premier, joue un rôle déterminant dans les processus d’individuation et de développements psychoaffectifs. D.W. Winnicott (1971), insiste sur le concept de » préoccupation maternelle primaire « . Préoccupation, par laquelle la mère va prodiguer les soins corporels et psychiques adéquats pour que l’enfant puisse se sentir être sujet. Cette préoccupation maternelle primaire rend possible l’illusion première d’une autosatisfaction pour le bébé en plaçant le sein là où l’enfant est capable de le créer : l’objet créé est trouvé, l’objet trouvé est créé, l’objet est » trouvé-créé » (Winnicott, 1970). Pour ce faire la mère doit » être une mère suffisamment bonne » (Roussillon, 2007, p.61), c’est-à-dire, respecter les différents besoins du bébé dans un ajustement réciproque avec l’enfant, dans une harmonie de soins corporels et psychiques ajustés aux besoins. L’enfant, peut ainsi commencer à jouir de l’illusion de la création et du contrôle omnipotent et donc de créer son individualité. Par conséquent, la mère apporte une protection du Moi suffisamment bonne, ce qui permet à l’être humain de créer une personnalité sur un mode de continuité de l’existence (Winnicott, 1970). Mais l’absence d’ajustement de la mère aux besoins de l’enfant » provoque des états de détresse et d’impuissance radicale qui laissent à l’enfant l’impression qu’il ne peut agir sur le monde, qu’il est impuissant à le transformer, et donc qu’il lui faut se soumettre à celui-ci » (Roussillon, 2007, p.61). Si la mère parfaite n’existe pas, elle doit en revanche n’être ni trop, ni pas assez dans sa relation à son enfant. La relation doit être harmonieuse, tant dans les soins corporels que psychiques et doit permettre la création d’un espace de solitude, afin de permettre à l’enfant de développer sa capacité d’être seul (où peuvent s’inscrire le jeu, la rêverie par exemple). Cette capacité d’être seul s’inscrit dans un processus d’individuation et de construction de la personne (Winnicott, 1971).
Par ailleurs, W. Bion (1972) insiste sur les fonctions de contenance, de liaison et de délimitation dans une relation » contenant/contenu » entre la mère et l’enfant. Dans cette relation, le bébé projette dans le psychisme de sa mère des éléments sensoriels (éléments bêta) non pensables et non liables entre eux, que le psychisme de la mère va traiter par sa capacité de rêverie. Cette capacité de rêverie va faire que les éléments β vont devenir pensables par la fonction alpha de la mère, renvoyant au bébé des éléments alpha introjectables par l’enfant constituant ainsi » l’appareil à penser » (Ciccone, in Roussillon, 2007, p.65). Cette relation intersubjective va donc permettre à l’enfant d’interpréter par la suite ses propres expériences. On voit ici qu’une incapacité de la mère à la rêverie peut entraîner des conséquences directes sur le développement de la subjectivité de l’enfant. La fonction contenante de la mère agit donc sur la capacité de l’enfant (par son introjection) à maintenir l’intégration de sa vie mentale.
Il est donc aisé de comprendre que, si la relation idéale mère/enfant (harmonieuse et faite d’ajustements adéquats de la mère aux besoins de l’enfant) est établie, la survenue pour l’enfant d’un événement traumatique, quel qu’il soit, vient potentiellement briser cette relation, ou tout du moins l’altérer, et donc perturber la construction « normale » de la personne ayant subi ce traumatisme. Les conséquences d’un événement traumatique sur la construction de la personne n’étant pas nécessairement différentes, qu’il s’agisse d’un événement d’ordre physique, sexuel ou psychique. Seule la réponse de l’adulte permet d’en atténuer et d’en réparer les effets (Ferenczi : Le traumatisme, 2006).Mais si la réponse de l’adulte n’est pas adéquate, alors l’angoisse consécutive à chaque traumatisme perdure.
Conséquences d’un traumatisme non réparé.
Nous partirons du postulat, à l’instar de Ferenczi (S. Ferenczi : Le traumatisme, 2006), que la commotion physique est aussi toujours psychique. La conséquence de la commotion physique serait alors » un sentiment d’incapacité à s’adapter à la situation de déplaisir en soustrayant son soi à l’irritation (fuite) ; en éliminant l’irritation (anéantissement de la force extérieure) » (Ibid., p.35-36). Si le sauvetage par l’état de relaxation, décrit précédemment, n’est pas possible du fait de la réaction inappropriée des adultes, l’enfant perd confiance en la bienveillance du monde extérieur, c’est-à-dire en l’objet primaire, ce qui provoque une perturbation durable de la personnalité. Le choc agirait alors comme un anesthésique par l’arrêt de toute espèce d’activité psychique, associé à l’instauration d’un état de passivité dépourvu de toute résistance. Le choc provoquerait l’arrêt de la perception, en même temps que l’arrêt de la pensée. La conséquence de cette déconnection de la perception serait une personnalité sans protection ayant pour conséquence une fragmentation, c’est-à-dire le clivage du Moi. La partie clivée s’établirait alors comme sentinelle contre les dangers, essentiellement à la surface. Son attention serait de ce fait presque exclusivement tournée vers l’extérieur face à des objets tous devenus potentiellement dangereux (Ibid., 2006).
Le traumatisme a, par ailleurs, des conséquences sur le lien entre affect et représentation : » on pourrait donc penser qu’à la suite du choc, les sentiments sont arrachés aux représentations et aux processus de pensée, et profondément cachés dans l’inconscient, voire dans l’inconscient corporel » (Ibid., p.163) entravant les processus secondaires. Le sujet va alors garder et répéter les traces d’un vécu de nature traumatique, non pas à cause des affects douloureux qu’il avait jadis éprouvés, mais en raison de ce qu’il n’a pas pu éprouver (non-inscription psychique) au moment où l’événement traumatique a eu lieu. Vide, lacune dont l’activation serait à la source d’angoisses disséquantes primitives, de la crainte de l’effondrement décrite par D.W. Winnicott (1970, p.205-216), d’une faille narcissique constante.
Le gel de l’affect
Laplanche et Pontalis (1967) définissent l’affect comme » tout état affectif, pénible ou agréable, vague ou qualifié, qu’il se présente sous la forme d’une décharge massive ou comme tonalité générale. L’affect étant l’expression qualitative de la quantité d’énergie pulsionnelle et de ses variations » (Vocabulaire de la psychanalyse, p.12). C’est l’affect lors du processus secondaire qui sera représenté et donc verbalisable. » Lorsque la conscience peut supporter le développement d’affects en cours […], leur connexion à des représentations de mots via le processus secondaire autorise l’accession de ces représentations à la conscience. Ce processus appelé processus de représentance (s’est construit) en fonction de la qualité du reflet apporté par l’objet primaire et du partage d’affect permettant de transformer les états pulsionnels premiers en messages, et en symboles » (Carton, 2000, p.28). Dans notre hypothèse, la situation traumatique serait le facteur désorganisateur en jeu dans la répression des affects car constituant une rupture brutale avec l’expérience de satisfaction.
La quantité d’excitation, qui ne peut se résoudre en plaisir, va alors être réprimée, et l’affect va se trouver désincarné des représentations. Il en résulterait « la mise en place d’un système imagoïque, remplaçant la représentation par une imago isolée à la périphérie du psychisme et porteuse d’une excitation non spécifique, issue de la dégradation de l’affect. C’est alors par les moyens d’emprise que va être traitée l’excitation débordante par des contre-investissements comme les procédés auto-calmants » (Ibid., p.35). Procédés auto-calmants dont les conduites addictives font partie. La conséquence de cette répression devient alors le refus de penser ainsi que le désinvestissement des objets, devenant le moyen le plus efficace de maintenir le calme au sein du fonctionnement psychique. Les investissements d’objets et les relations sont donc restreints au maximum car susceptibles de réinvestir l’état traumatique et de générer un retour du manque. Dès lors, » la présence de l’autre, vers lequel tend le désir qui vivifie la parole et qu’exige l’affect pour se manifester, contient en elle-même la menace de sa perte » (Ibid., p.71) et donc la menace de destruction pour le Moi. Le gel de l’affect devient alors le seul moyen efficace contre le risque de débordement pulsionnel. Gel de l’affect qui serait à ramener à un traumatisme précoce subi par l’individu dans une période de développement où le processus d’individuation entre le Moi de l’enfant et le Moi de l’objet primaire ne serait pas achevé, c’est-à-dire à un moment où la perte objectale équivaut à une perte narcissique entraînant un déficit « d’organisation narcissique primaire » (Carton, 2011).
Un traumatisme précoce du fait de la non adéquation de la réponse maternelle par une réassurance à l’enfant peut donc provoquer une véritable perturbation de la construction de la personnalité. Cette perturbation provoquerait une crainte d’effondrement du Moi que le gel des affects viendrait bloquer, afin d’éviter un débordement d’excitation non intégrable psychiquement. La conduite addictive, jouerait alors le rôle de contre-investissement de cette excitation débordante par une conduite auto-calmante. Suite à cette perspective théorique nécessaire à la compréhension de nos hypothèses intuitives, nous exposerons dans un premier temps notre hypothèse de recherche, les méthodes d’analyses utilisées dans le cas de L., ainsi que leurs pertinences. Puis dans un deuxième temps, nous exposerons le cas de L. proprement dit et nous en tenterons son analyse.
Hypothèse opératoire
Si l’effet désinhibiteur de l’alcool est incontestable, l’alcool, par cet effet désinhibiteur agirait comme un moyen d’expression de quelque chose. Dans notre cas, nous postulons que l’alcool permet au sujet le dépassement du gel des affects par l’expression de la personne ouvrant à la rencontre de l’autre.
Les outils méthodologiques
Le cas unique
L’étude de cas unique, nous semble pertinente dans la mesure où notre objectif est de faire une recherche qualitative et non une recherche à but de généralisation, où les symptômes de sujets dépendants devraient être répertoriés et quantifiés. De plus, la subjectivité étant le fondement de la démarche clinique, chaque cas est unique, à la fois dans la relation patient-clinicien, mais aussi dans l’expression verbale et non verbale (signes) de la pathologie en fonction d’un contexte particulier, propre à l’individu souffrant. L’étude des symptômes ou des signes doit donc être unique, car » le signe se définit relativement, dans un jeu de différence, dans un jeu de comparaison, en fonction d’un contexte donné, d’une situation singulière […]. Il n’existe pas en soi, mais pour un sujet en situation » (Roussillon, 2007, p.12). » L’approche clinique se propose l’étude d’un être humain concret et complet, de l’individu complet et concret, envisagé tant dans sa singularité que dans son drame. Elle envisage l’homme en conflit c’est-à-dire une personnalité aux prises avec un certain entourage, une situation problème » (Samacher, 1998, p.27). La clinique, qu’elle soit thérapeutique ou de recherche, se doit donc d’appréhender la souffrance psychique dans son unicité versus sujet dans une relation particulière, asymétrique avec le clinicien. De plus, » lorsque l’expérimentation est contrainte à un champ d’application limité et que l’on est confronté à la rareté des faits soumis à l’observation, l’étude de cas individuels reste un outil irremplaçable » (Widlöcher, 1990, p. 293). L’étude de cas unique permet aussi, » la manipulation d’autant de variables que nécessaires à la complexité de la situation, ouvrant ainsi sur une plus grande richesse des descriptions cliniques » (Braconnier et Lesieur, 1990, p. 209) et donc de la compréhension d’une situation singulière.
Par ailleurs, nous avons utilisé dans cette recherche deux méthodes qualitatives de recueil de données : l’entretien non-directif et les tests projectifs (Rorschach et TAT), dans une volonté de complémentarité.
L’entretien clinique non-directif
L’entretien non-directif en psychologie clinique » est une situation d’échange de paroles entre au moins deux sujets qui occupent des positions dissymétriques » (Kapsambelis, 2012, p.256). Cet acte de parole prend donc effet au sein d’une relation intersubjective, entre deux sujets, le patient et le clinicien. Ainsi B. Jacobi écrit : » Il convient de préciser qu’un lien intersubjectif spécifie la relation entre les personnes engagées dans l’entretien […]. L’acte de mise en relation s’accomplit, pour chacun des sujets engagés dans l’entretien, au sein de son propre psychisme. L’intersubjectivité a vocation à ouvrir vers l’intra subjectivité » (2002, p.7). La relation avec le clinicien sera ainsi la condition et le moyen d’accès à la subjectivité du patient qui favorise le déplacement de mouvements psychiques plus ou moins conscients par des modes de relations particuliers que la psychanalyse nomme » transfert » et » contre-transfert « . Ces notions désignent des processus par lesquels les désirs inconscients s’actualisent sur certains objets dans le cadre d’un certain type de relation établi avec eux, et éminemment dans le cadre de la relation analytique. L’entretien clinique non directif permet donc de recueillir la parole du sujet qui apporte ce à quoi le sujet est réellement, imaginairement ou symboliquement confronté, sur la place que le sujet assigne au psychologue en tant que destinataire d’une parole, sur l’organisation des mécanismes de défense psychique, sur la structure psychique du sujet (névrose, psychose, perversion, psychosomatique ou encore états limite), et sur les signes psychopathologiques dont celui-ci peut souffrir (phobie, inhibition, délire..). Le discours concerne le dit et le non-dit. Le clinicien travaille aussi bien avec ce qui est rapporté dans le discours manifeste qu’avec ses manques, ses silences, ses contradictions, ses lacunes, c’est-à-dire avec toute la dimension de l’énonciation. Pour ce faire, le clinicien doit se situer dans une neutralité bienveillante, ce qui signifie que ses avis et ses jugements ne doivent pas entraver la rencontre en la parasitant et que son attitude ne doit être ni rigide, ni distante. (Chiland, 1983). L’entretien clinique non-directif est donc un moyen de connaissance du sujet (son histoire) et de sa souffrance (mécanismes) dans la totalité de sa personne, dans son interaction au monde symbolisée par la rencontre avec le clinicien. Cet outil nous semble donc approprié dans le cadre de notre recherche, tout comme l’utilisation de tests projectifs.
Tests projectifs
Les méthodes projectives constituent un instrument d’une richesse incontestable pour la psychologie clinique. Elles permettent dans un laps de temps limité d’accéder au fonctionnement psychique d’une personne et à ses particularités » ce qui est caché est mis en lumière, le latent devient manifeste, l’intérieur est amené à la surface ; ce qu’il y a de stable et de noué en nous se trouve dévoilé » (Anzieu in Richelle, 2009, p.8). Les épreuves projectives ont toutes en commun l’ambiguïté plus ou moins marquée du matériel. Cette particularité peut susciter chez le sujet une certaine anxiété, favoriser la régression ainsi qu’une atténuation du contrôle rationnel des processus secondaires, ce qui permet l’émergence des phénomènes projectifs et de la vie fantasmatique. De plus, les méthodes projectives » impliquent une double sollicitation perceptive et projective : le matériel se présente sous la forme de données sensorielles perceptives qui font appel à l’objectivité, soutenue pas des conduites cognitives et adaptatives ; mais ce matériel […] sollicite, par son ambiguïté, des mouvements subjectifs, soutenus par des conduites projectives » (Chabert in Roussillon, 2007, p. 551). En résumé, les méthodes projectives, par les opérations mentales qu’elles mettent en œuvre au cours des passations des tests projectifs, sont donc susceptibles de rendre compte des modalités de fonctionnement psychique propres à chaque sujet dans leur spécificité, mais aussi dans leurs articulations singulières.
Les tests projectifs, que nous avons utilisés dans le cadre de notre recherche, sont le Rorschach et le TAT (Thematic Apperception Test). Le choix d’associer ces deux tests est justifié dans le sens où le Rorschach met plus en lumière la structure identitaire et le fonctionnement narcissique de l’individu, tandis que le TAT insiste plus sur le registre œdipien et sur la relation d’objet versus angoisse de perte d’objet. Les deux approches étant nécessaires dans l’appréhension d’une personnalité pathologique (Richelle, 2009).
Test du Rorschach
Ce test est constitué de dix planches cartonnées représentant des tâches d’encres symétriques aux teintes grises et noires (cinq), noire et rouge (deux) et pastels (trois). Chaque planche est numérotée de I à X, ce qui correspond à l’ordre de leur présentation pendant la passation. La consigne donnée au sujet est de dire tout ce à quoi lui font penser les planches. Ce test est un test de personnalité permettant d’appréhender le fonctionnement psychique du sujet comme le rendement intellectuel général, le mode d’expression habituelle des affects, la manière de ressentir les relations interpersonnelles, ou encore les problématiques individuelles (Richelle, 2009). Les informations fournies sur les éléments psycho-dynamiques permettent de statuer sur la présence éventuelle de troubles du caractère ou d’une psychopathologie hors symptômes manifestes. » La particularité du test du Rorschach est en fait d’approcher tous ces éléments sans y faire référence de manière explicite » (Ibid., p.20). Ce test est donc, à notre sens, non seulement un outil indispensable pour faire une estimation dynamique pertinente des ressources actuelles et latentes du sujet, de ses vulnérabilités, mais aussi un instrument précieux d’examen et de description en profondeur de la personnalité. Notre démarche d’analyse et d’interprétation de ce test se fera en fonction du cadre théorique de l’Ecole de Paris, c’est-à-dire en fonction de la théorie psychanalytique.
Test du TAT
L’originalité du Thematic Aperception Test est que « les modalités de construction et d’élaboration des récits du TAT renvoient aux mécanismes de défense caractéristiques de l’organisation psychique du sujet » (Roussillon, 2007, p.573). L’intérêt de ce test, est de mettre en lumière les mécanismes défensifs et leur souplesse, mais aussi les capacités ou incapacités du sujet à la symbolisation. Rappelons que les planches du test présentent soit des personnages réels marquant de façon objective la différenciation sexuelle et/ou générationnelle, soit présentent des paysages sans personnages. Le sujet doit raconter une histoire à partir de ces planches. Le TAT sollicite l’axe narcissique et objectal. » Le discursif au TAT devient alors le témoin, non seulement de l’activité de pensée du sujet sous la pression du pulsionnel et de sa capacité à organiser celle-ci dans une communication où les processus primaires seraient recouverts par la pensée secondarisée, mais surtout des autres modalités d’élaboration psychique, des conduites du penser dans le sens large, tolérantes aux processus primaires […] souvent appuyées sur l’externalisation,[…] ou sur le perceptif comme rempart devant la perte de la réalité et le danger psychotique » (Brelet-Foulard et Chabert, 2003, p.18). En résumé, le TAT est pertinent afin d’appréhender représentations de soi et représentations de relations, ainsi que l’économie défensive du sujet. Le matériel du TAT se compose, à l’origine, de trente et une planches. A l’instar de Chabert (2003) et du fait que notre sujet est un adulte homme, nous retiendrons les planches 1, 2, 3BM, 4, 5 proposées à l’ensemble des sujets ; 10, 12BG, 13B, 19, 16 et 13MF proposées aux hommes adultes. Les dix premières planches représentent des personnages sexués. Les planches 11, 19, 16 renvoient à des objets non clairement définis. Les planches sont présentées pour les hommes dans l’ordre suivant : 1, 2, 3BM, 4, 5 6BM, 8BM, 10, 11, 12BG, 13B, 13MF, 19, 16. La consigne donnée au sujet est » imaginez une histoire à partir de la planche « .
Suite à la présentation de la méthode utilisée, nous nous intéressons à la situation clinique proprement dite en présentant l’histoire du sujet, puis dans un deuxième temps nous présenterons l’analyse du cas de L. dans ses aspects transférentiels et psycho-dynamiques. Par ailleurs, il nous semble nécessaire de préciser que notre analyse de notre cas clinique ne s’inscrit pas dans une démarche d’analyse transférentielle. Même si celle-ci a été effectuée à titre individuel et parallèlement à l’étude, celle-ci ne nous semblait pas judicieuse dans notre recherche. Il s’agit donc ici d’une lecture analytique via les outils conceptuels de la psychanalyse, mais pas d’une analyse psychanalytique transférentielle.
Cas Clinique
Anamnèse
- est un homme de 41 ans, divorcé d’une femme (la seule) de seize ans plus jeune, après dix ans de vie commune dont sept ans de mariage. Il vit actuellement chez ses parents. Il n’a pas d’enfant. Viticulteur, actuellement au chômage, il est originaire de Bourgogne comme toute sa famille. Aîné d’une fratrie de trois enfants, il a deux sœurs d’un et neuf ans plus jeunes. Ces sœurs, après des études poussées, sont pour la plus âgée chercheuse au CNRS ce qui l’amène à beaucoup voyager, alors que la plus jeune est ingénieur et œnologue. Lui a passé un Bac pro viticole, sans réussir son BTS. Il quitte la maison familiale à trente et un an pour vivre avec sa femme, qu’il a rencontrée à la ferme familiale lors des vendanges, ceci malgré les avertissements de sa mère. Travaillant à la ferme avec son père et un associé, et après avoir emprunté pour acheter des parts, l’association est dissoute suite à une accusation de la femme de l’associé concernant une affaire de détournement de fonds que la mère de L. aurait commis. Les parents décident par la suite de vendre la ferme familiale afin de s’installer dans le sud pour leur retraite, ne respectant pas la tradition du partage des terres entre les enfants, terres que les sœurs étaient prêtes à céder à L. L. pour garder la ferme devrait emprunter à nouveau, ce qui est impossible financièrement. L. reste donc seul sur la région Bourgogne, et passe du statut de patron à celui de salarié. Ses sœurs habitent sur Béziers et Montpellier depuis déjà quelques années. Habitant au pied de l’ancienne propriété familiale, L. est embauché par son ex-associé sur son ex-habitation familiale. Expérience qui se finit mal, puisque L. va se » faire casser la gueule » (Cf. Annexe A, Entretien 1) par le gendre de son patron à qui les remarques de L. sur sa conduite au travail ne plaisaient pas. Embauché par un autre patron, L. aura l’entière responsabilité de l’exploitation viticole. Menacé de licenciement sans raisons apparentes, L. sera hospitalisé quatre mois pour dépression afin de « calmer ses nerfs » et » se refaire une santé « .
- nous apprend qu’il aurait subi un accident vers l’âge de trois ans (selon sa tante qui lui aurait relaté l’événement afin de se venger du fait que L. lui aurait appris que le père de cette tante ne serait que son beau-père). Il serait tombé au moment où sa mère le changeait ou plus exactement pendant l’absence de sa mère pendant le change. Sa mère l’aurait retrouvé par terre en revenant. Les circonstances de cet incident restent floues puisque la mère n’a jamais voulu répondre aux interrogations de L. sur ce sujet, événement que son père semble ignorer. L. semble par ailleurs, avoir eu un retard de croissance puisque d’après lui il mesurait » encore un mètre quarante au lycée « . Enfin, il a dû subir une opération du dos (lombaires) le laissant six mois immobilisé vers l’âge de trente quatre ans, ce qui lui a laissé un souvenir pénible. Sa rencontre avec l’alcool dans le but d’en consommer viendrait de sa belle-famille dont les frères passaient » presque tous les soirs boire l’apéro ». Le divorce provoque une augmentation de sa quantité de consommation ainsi qu’un changement de mode (il boit désormais seul).
- se plaint de céphalées qui auraient débutées trois jours avant la cure. Il nous précise qu’il a eu des problèmes psychologiques et des problèmes de concentration, qu’il attribue à l’accident vécu dans sa petite enfance. L. présente des idées suicidaires et est traité pour dépression. Déjà suivi par un psychiatre suite à un accident que son père a eu en quatre vingt dix huit lorsqu’il avait trente ans, il est hospitalisé quatre mois en psychiatrie pour dépression entre la séparation d’avec sa femme et le divorce, selon lui à cause du divorce mais aussi de son licenciement » sans raisons « . Il a déjà fait trois sevrages en plus de celui fait avant cette postcure. Postcure conseillée par son médecin généraliste, et qu’il effectue pour la première fois car » personne ne lui avait proposé avant « . Peu soutenu dans sa démarche par sa mère qui » préférerais qu’il travaille « , et incompris par son père » pour mon père j’étais sauvé, c’était bon « , il a pris l’initiative seul de cette postcure. L. déclare boire deux bouteilles de vin par jour, avec quelques bières dans l’après midi. Il décide d’entrer en cure » car le corps ne suivait plus « , ce qui l’amène à consulter un médecin qui, devant les résultats de la prise de sang conseille un sevrage et une postcure.
L’enfance de L. se passe dans la ferme familiale où » il y avait toujours quelque chose à faire » au milieu d’un père » qui nous effrayait » (le père boit à cette époque selon L. environ quinze verre de blanc par jour) et une grand-mère » dragon qui créait toujours des conflits entre son fils et sa belle-fille » et cherchait à » savoir tout ce qui se passait à la maison » en interrogeant ses petits-enfants. Les grands-parents, dont le grand-père était alcoolique, vivaient dans une maison au sein de la ferme. L. ne semble pas avoir eu beaucoup d’amis d’enfance, il était toujours avec sa sœur. Il n’a aucun souvenir d’être allé dormir chez des amis ou que des amis soient venus chez lui. Il n’a aucun souvenir de sa petite enfance. Son premier souvenir remonte au collège au moment de la puberté. Il a réussi à se faire des amis seulement au lycée en classe de première/terminale » où ça allait un peu mieux « . Il nous a déclaré avoir toujours été dévalorisé par rapport à ses sœurs, » alors à force on y croit « .
Après l’aperçu de l’histoire de L., nous allons désormais aborder sa souffrance et les caractéristiques de celle-ci.
Une souffrance marquée par une inhibition généralisée
Dès la première rencontre, lors du déjeuner du lundi juste au moment de son arrivée dans le service, L. est assez en retrait. Il ne parle pas et ne se présente seulement lorsqu’un autre patient lui demande son nom. Le déjeuner sitôt terminé, il remonte dans sa chambre sans participer aux activités de l’après-midi. La première impression que L. provoque, est qu’il paraît timide, en repli sur lui-même, sans pour autant créer d’empathie chez l’interlocuteur. On se rend compte qu’il va mal, mais uniquement par l’observation de son comportement au sein du groupe, rien ne semble émettre de lui. Cette prime impression que nous ressentons se confirme le lendemain lors de sa première participation à la réunion de groupe de parole. Etant nouvel arrivant, il se présente, mais à la différence de la coutume, où le nouvel arrivant parle en premier afin de se présenter au groupe, L. est tellement discret que la psychologue référente ne se souvient qu’il existe que lorsque que tout le monde a fini de s’exprimer. En l’observant, nous constatons qu’il écoute les membres du groupe qui interviennent, mais sans jamais les regarder, sans lever les yeux du sol ou de la table de réunion. À la demande de la psychologue référente, il se nomme, puis s’arrête et baisse le regard pour reprendre son attitude précédente. La psychologue est obligée de le relancer afin de savoir son âge, sa profession, son lieu d’habitation, sa situation familiale, et s’il s’agit de sa première postcure. Chaque prise de parole semble créer un véritable malaise chez L., mais sans qu’aucune émotion ne transparaisse tout du moins au premier abord. Tout semble être contenu, maintenu à l’intérieur, on a véritablement l’impression d’être face à une forteresse mais pas faite de pierres, solide comme un roc, mais bien plutôt faite de glaise ou d’argile, absorbante. Cette attitude de surface se retrouvera tout au long de sa cure, dans les productions verbales lors des entretiens individuels et lors de la passation des tests marqués toutefois par des sortes d’explosions émotionnelles lors de situation conflictuelles qui s’exprimeront de façon corporelle où L. devient « rouge de colère ».
Un contre transfert particulier
Au regard du déroulement des entretiens, nous constatons après coup, que nous n’avons pas laissé L. s’exprimer en association libre. En effet, le nombre de relances, souvent par des questions précises sur l’histoire du patient, semble à la première lecture un défaut de professionnalisme de notre part. A y regarder de plus près, nous agissons comme si nous éprouvions l’angoisse des silences, comme s’il nous fallait obtenir plus d’informations pour comprendre la dynamique psychique et l’histoire de L. Nous conduisons les entretiens exactement comme L., c’est à dire en s’agrippant au factuel, de telle sorte que notre préoccupation d’élaborer la réalité psychique interne passe au second plan, comme si tout dépendait d’abord de l’éclaircissement des faits. L’identification de la souffrance de L., rendue possible par l’empathie du clinicien, se trouve bloquée alors même qu’elle se situe précisément dans cette accroche aux événements et dans le blocage de l’affect. Nous nous surprenons à chercher dans un sentiment angoissé, des questions à poser sur l’histoire de L., comme si elles étaient nécessaires. Nous agissons de la sorte, afin d’éviter nous semble t-il, à la fois l’extinction du discours mais aussi le passage d’un registre à un autre, qui se ferait selon nous sans approfondissement. Nous nous trouvons dans une situation où rien ne fait écho au discours de L., rien ne vient, ce qui nécessita une recherche « intellectuelle » de relance par des questions précises, voire intrusives. L’inertie émotionnelle apparente du sujet nous « contamine », sans que nous nous rendions compte que ce phénomène est l’expression même de la souffrance psychique de L., de sa difficulté à établir une relation ouverte avec un autre être humain. Les entretiens sont alors marqués par un dialogue ressemblant bien plus à un interrogatoire médical, ou à une enquête sociologique. Aucune ouverture véritable ne paraît se faire jour. Les entretiens ne semblent dessiner aucun parcours véritable, le parcours est circulaire avec un retour au point de départ centré sur la santé de son père et de son accident infantile. Les entretiens semblent rester cantonnés à un récit entièrement objectivé de faits historiques, où tout indice de vérité subjective est exclu. Indices de subjectivité que seul, dans notre étude, les tests projectifs nous permettent d’entrevoir ce qui nous rassure, car enfin quelque chose de tangible et donc de rassurant semble se dessiner. La recherche du factuel apparaît alors comme un système de réassurance dans une recherche d’évitement du vide, de l’arrêt du discours, tout comme L., en s’attachant à la réalité des faits, nous semble vouloir lutter contre ce même vide.
L’impossible ouverture à la rencontre
Cette rencontre avec L. laisse comme une impression générale de rencontre non aboutie, qui n’a pas pu se faire, où rien n’est advenu, sans même que nous nous rendions compte de prime abord que la problématique majeure de L. se trouve justement là, dans cette difficulté relationnelle.
En effet, en se penchant sur les éléments de la vie de L., on peut constater que mis à part la relation avec sa tante infirmière, nul autre être humain ne semble avoir permis l’établissement d’une relation affectueuse franche et sincère, ouverte dans une confiance mutuelle : sa mère semble décider tout (choix des études, de la filière professionnelle, de la vente de la ferme familiale) et l’infantilise, sa grand-mère l’interroge pour savoir tout ce qui se passe dans la maison de façon assez inquisitoire, son père lui faisait peur (même aujourd’hui), sa grande sœur est un « adjudant qui régente tout » comme sa mère, un oncle est alcoolique et un autre l’accuse de lui avoir volé des bidons.
Du côté des relations que L. a pu établir par lui-même, il semblerait que l’on aboutisse au même constat: son associé s’arrange avec sa mère pour récupérer la ferme familiale, sa femme tombe enceinte juste après leur séparation, ses beaux frères passent tous les soirs à la maison sans qu’ils puissent leur dire quoique ce soit, sa femme donne toujours raison à ses frères, il se fait licencier sans raison apparente. Brièvement, il semblerait que L. n’ait quasiment jamais eu l’expérience de relations humaines ouvertes, non menaçantes. Si à ce parcours de vie, l’on ajoute les expériences de vie que l’on pourrait qualifier de traumatisantes dans le sens que Ferenczi donne à ce concept, alors on peut entrevoir que L. n’a pas ou peu vécu l’expérience de la rencontre vraie, en tant que « toute rencontre s’inscrit dans mon histoire personnelle.[…] génératrice d’une nouvelle histoire, d’une histoire à deux, d’un partage, d’une prise sur soi du destin de l’autre que moi » (Jonckheere, 2009, p.58). Attitude aisément compréhensible en rapport avec l’histoire de vie de L. En effet, la rencontre semblerait avoir été pour L., une systématique prise sur soi du destin de l’autre en sens unique comme si « l’ouverture fondamentale et primaire au monde » (Ibid., p.69) avait été entravée, où « l’être l’un avec l’autre se transforme en un être l’un contre l’autre, ou en être terrifié par l’autre » (Ibid., p.95). Ce fait, qui à la vue du récit de l’histoire de L. et de l’observation de ses rapports sociaux lors des ateliers thérapeutiques, pourrait donc nous permettre de mieux comprendre la réticence de L. de s’établir d’emblée dans la relation, dans la rencontre avec autrui. L. semble refuser ce que « l’homme est essentiellement ouverture à l’être, au partage » (Ibid., p.57).
Cette impression générale de gel de la relation semblerait se retrouver dans deux aspects de la production de L. lors de la passation des tests projectifs. Dans un premier aspect, on ne peut s’empêcher de constater la pauvreté de la production quant à son volume : L. est souvent figé face au matériel et il fournit peu de réponses. De plus, si la réactivité émotionnelle au matériel est prégnante (Cf. Annexes B et C), elle se trouve confinée par des procédés rigides (Cf. Annexes C) dans un discours réduit au minimum. L. semble avoir érigé une barricade encerclant et contrôlant d’une main de fer ses émotions, qui malgré tout peuvent exploser et tout submerger dans un accès de colère. L. semble ne pas avoir la possibilité, les ressources psychiques et comportementales de ne pas être dans l’excès, soit armé derrière sa muraille, soit en charge sabre au clair. Comme le précise E. Lévinas « l’expérience de l’altérité n’est pas une relation avec une autre totalité, mais un rapport investissant avec l’extérieur » (Libertson, 1981, p.223). L’expérience de l’altérité d’autrui, l’être-avec, semble être vécue par L. comme un « être-seul [qui] est un mode déficient de l’être-avec » (Heidegger, 1927, p.120) où les autres comptent, mais « sans sérieusement compter sur eux, ni même avoir affaire à eux » (ibid., p.123). Or « être un signifie : n’être pas seul, être impliqué avec l’extérieur [car] ce n’est qu’en vertu de son déracinement et de son errance au sein de l’extérieur que l’intériorité peut être enracinée de façon cohérente dans l’être en tant qu’unicité » (Libertson, 1981, p.223-226). Si l’unicité de L. ne semble donc pas totalement constituée, alors la liberté n’est pas possible dans le sens où « la liberté implique responsabilité; responsabilité [qui] décrit l’affirmation d’une intériorité qui est impliquée avec l’altérité, qui répond à l’approche de l’altérité par sa différence même » (Ibid., p.244).
Une liberté introuvable
Dès le premier entretien, effectué avec la psychologue référente (non retranscrit), L. nous annonce d’emblée qu’il a eu des problèmes psychologiques et des problèmes de concentration, comme s’il voulait nous dire que toute façon il n’était pas normal, qu’il était amoindri. Ce sentiment va se retrouver à l’évocation de la situation professionnelle de ses sœurs, qui ont fait de grande études, pas comme lui, qui n’a « même pas » réussi son BTS. La vie de L. donne le sentiment, à la relecture des entretiens, qu’il a été dépossédé de sa vie, de sa possibilité de choisir, déresponsabilisé de sa vie, où « les prudences apeurées du moi superficiel » (Romeyer, 1933, p.196) n’ont pu être dépassées.
Enfant, L. évolue dans un environnement familial que l’on peut qualifier de menaçant, non contenant. L. est entouré d’un père « effrayant », certainement alcoolique (il buvait environ quinze verres de vin par jour) qui se met toujours en colère : « On le connaissait toujours énervé » (Annexe A, p.41). Autoritaire où « il y avait pas un bruit à table » (Annexe A, p.46), il envoie facilement des « roustes ». Situation qui, à n’en pas douter, ne facilite pas vraiment le dialogue et l’échange. Deux autres référents masculins existent dans son entourage proche : un grand-père alcoolique, et un ouvrier handicapé moteur qui fait presque partie de la famille. Du côté des référence féminines, L. est pris en tenaille entre une grand-mère « dragon », qui se mêle de tout: « il suffisait que ma mère était partie en courses elle savait où étaient les clefs elle fouillait partout, elle nous cuisinait pour savoir ce qui s’était passé dans la journée » (Annexe A, p.62), et une mère qui semble tout prendre en mains, qui se « mêle de tout », « un vrai adjudant elle mène tout à la baguette » ‘(Annexe A, p.59), et avec qui la discutions est impossible : « j’ai bien essayé de discuter avec ma mère mais euh mais la porte est jamais ouverte » (Annexe A, p.39), « avec ma mère on causait pas » (Annexe A, p.60). L’avenir professionnel de L. est décidé par la mère : « pour pas que je fasse d’études, pour aider mon père » (Annexe A, p.59). Elle l’oriente alors vers la filière viticole. Dans cette situation, on peut facilement comprendre que L. n’a pas dû avoir beaucoup la possibilité de choisir et de s’exprimer. Toujours mis dans l’action par un père qui trouvait toujours quelque chose à lui faire faire, sans amis jusqu’en terminale et d’après lui dévalorisé par sa mère (il n’était pas très doué à l’école alors que ses sœurs réussissent très bien), L. se serait réfugié dans une passivité affective et une dévalorisation de lui-même, car ne sachant sans doute pas comment faire autrement. Comme il nous le dit lui-même : « j’ai été tellement écrasé je sais pas comment faire, peur de déranger » (Annexe A, p.63).
Par ailleurs, quand L. suit les orientations de sa mère ou qu’il arrive à faire des choix individuels, c’est-à-dire à acquérir une forme de liberté, L. s’en trouve dépossédé. Sa formation viticole obligée et son travail avec son père à la ferme se trouvent anéantis par le fait que son père s’associe avec une autre personne pour créer une société agricole, à laquelle il n’est pas convié. Contre l’avis de sa mère, il emprunte tout de même et achète des parts. Association qui se trouvera dissoute suite à des accusations de détournement de fonds de la part de l’épouse de l’associé à l’encontre de la mère de L. Les terres familiales seront alors vendues « sous pression de la mère » sans qu’il ait son mot à dire. L. se trouve à nouveau dépossédé, mais cette fois de son entreprise, de son père et de la ferme familiale où « son père a toujours vécu depuis soixante ans ». L. lors des entretiens semble avoir été particulièrement marqué par ces événements, car il y revient plusieurs fois dans l’ensemble des entretiens. Si, à ces événements, on ajoute l’échec de son mariage, la vie de L. semble être comme une spirale de l’échec due, nous semble-t-il, à l’impossibilité d’être autonome, libre d’exprimer son être, et cela depuis sa prime enfance jusqu’à l’âge adulte. L. n’est pas libre car comme le rappelle Bergson « nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance » (in Romeyer, p.198); possibilité que L. ne semble pas avoir eu l’occasion de mettre réellement en place. Il semble plutôt rester dans une dépendance à l’autre, comme il l’était sans doute avec sa mère, mais dans une inhibition généralisée, car l’autre porte en lui-même sa perte, et donc se trouverait être pour L. une source potentielle de danger rendant la rencontre impossible.
En résumer, L. semble avoir évolué et semblerait évoluer encore, dans un contexte où il serait interdit du sentiment d’être, du sentiment d’être vivant, d’être soi, d’être au monde dans une liberté d’action qui se définie par le « pouvoir conscient et spirituel de choisir, d’agir avec maîtrise psychologique, avec une spontanéité franche de nécessité externe et interne » (Romeyer, 1933, p. 201). L. ne semble pas être dans la capacité de s’affranchir de ces mêmes nécessités qui neutralisent son action libre, sa liberté d’être.
Sa subjectivité s’en trouverait entravée. La présence et la permanence du bon objet se trouveraient donc mises en question chez l’autre, comme chez lui, par un processus » d’auto-effacement » pouvant aller aux tendances suicidaires (Anzieu, 2012). Tendances suicidaires que L. exprimera à plusieurs reprises. L. semble donc être bloqué par une angoisse de castration puissante et non dépassable. Cette angoisse de castration aurait provoquée un gel généralisé des affects du fait de la menace de débordement qu’ils représentent. L’inhibition de la pensée, de l’action, et des affects deviendrait alors le seul moyen pour L., de se défendre contre la menace de destruction que ce débordement risquerait d’entraîner mettant sa survie physique et psychique en danger face à l’autre. L’autre est menace, il doit donc être neutralisé, mais l’autre est constitutif de soi-même. « C’est parce que j’expérimente le regard de l’autre sur moi que j’existe » comme nous le rappelle Sartre (In Duteille, 2003). Cette neutralisation va créer un Dasein particulier : « l’autre [étant] un doublet du Soi-même » sa neutralisation va donc modifier le « Dasein qui est essentiellement en-vue-d’autrui » (Heidegger, 1927, p.122).
L’autre : une menace en puissance
La souffrance de L., nous l’avons vu, s’exprime par sa non expression. L. paraît s’effacer littéralement face à autrui, comme s’il n’osait pas interagir directement quitte à se mettre soi-même en danger. Ce qui est paradoxal dans la mesure où un comportement d’ouverture dans la relation serait justement le moyen pour lui de se protéger et donc de survivre par cette même relation, car « c’est l’autre qui me constitue, qui me fait devenir sujet » (Duteille, 2003, p.89).
Deux événements, qui se sont produits pendant son séjour à l’hôpital, nous semble importants à signaler dans le but d’éclairer notre propos. L. au bout de cinq jours, paraît ne pas être bien physiquement, il se tient de temps en temps la tête. Suite à nos interrogations, il nous apprend qu’il souffre de céphalées qui auraient commencé trois jours avant son entrée à l’hôpital. Il n’en a pas parlé au médecin, qu’il a pourtant vu deux fois, ni aux infirmières du service. Nous lui conseillons alors d’en parler au médecin dès le lendemain, mais il ne le fera pas. C’est uniquement parce que l’animatrice va en parler directement au médecin que L. va se faire soigner. Le deuxième événement se passe avec le patient O. qui, nous l’apprendrons par la suite, le harcèle littéralement en lui téléphonant le soir dans sa chambre pour lui chanter des « chants fascistes ». Ici encore, L. n’en parle pas directement. Il en parlera à un autre patient, qui en parlera à un autre qui en parlera aux infirmières qui nous remonteront l’information. L. sera alors changé d’étage, et O. aura un entretien avec la cadre de santé. Cette situation a duré près de trois semaines. L. ne s’est pas donné le droit de solliciter le service, alors même qu’il s’apprêtait, à cause de cette situation, à arrêter la cure, comme il le déclarera lors du deuxième entretien (Cf. Annexe A). La souffrance de L. semble alors induire un effacement de sa personne, même face à des situations sources de déplaisirs physiques ou psychiques, jusqu’à l’explosion réactionnelle provoquant une souffrance encore plus grande : perte de sa femme du fait d’avoir chassé ses beaux frères de chez lui « qui venaient boire l’apéro tous les soirs », perte de son travail et « cassage de gueule » après avoir dit ce qu’il pensait du gendre de son patron. La seule possibilité de L. à exprimer ses affects semblerait être « la goutte d’eau qui fait déborder le vase » qui fait éclater le rempart défensif rigide du gel, qui le met dans une situation de souffrance plus importante encore, quitte à se détruire avec l’alcool. Ce débordement peut se voir physiquement. Un changement de couleur du visage, qui passe au rouge vif, indique une « explosion imminente », mais qui ne survient pas, tout du moins dans le cadre de notre étude.
Dans cette perspective, nous allons maintenant voir le rôle que peut jouer l’alcool dans la vie de L.
Rôle de l’alcool dans la vie de L.
Le parcours de L. avec l’alcool commence relativement tard puisqu’il dit avoir commencé à boire de façon festive seulement les vendredis soirs en discothèque donc vers l’âge approximatif de dix-huit ans. Sa véritable entrée dans la boisson semble aller de pair avec son départ de la maison familiale à trente et un ans » avant je ne buvais que de la citronnade » et avec sa vie de couple, où » tous les soirs (ses) beaux-frères passent pour l’apéro « . Sa consommation semble changer de finalité à la séparation d’avec sa femme, où il boit désormais seul. L. est suivi pour dépression depuis de nombreuses années. Dépression qui serait apparue la première fois à la suite de l’accident de son père parce » trouver un remplaçant à mon père et bien c’est pfeu ! » (Annexe A, p.40). L. se retrouve à ce moment-là dans une situation où il se voit devoir prendre le relais. Se sentant incapable devant l’énormité de la tâche car » c’est un bœuf mon père » (Annexe A, p.39), on peut supposer que L. tombe en dépression en partie pour cette raison en tant que « goutte qui fait déborder le vase ». Il sera alors suivi par un psychiatre. La situation anxiogène aurait provoqué le retrait de l’expérience rappelant la situation traumatique vécue dans la petite enfance. La réponse symptomatique au conflit psychique est mise en place, mais pas encore l’alcool. Ici, nous rejoignons Mijolla et Shentoub (2004) lorsqu’ils insistent sur la nécessité d’une rencontre initiatique avec l’alcool, qui ne deviendra auto-médicamentation contre la dépression que par la suite et en cas d’événements particuliers. Son divorce semble avoir joué le rôle de l’événement déclencheur après-coup, qui transforme alors « l’alcool plaisir » en « alcool médicament ». Ce que l’on apprend de sa femme, c’est qu’elle a des frères qu’il ne faut pas critiquer, dont l’un est légionnaire et qui passe trois ou quatre fois par semaine « pour boire l’apéro jusqu’à des deux heures du matin », et que « dès que je voulais parler de choses sérieuses ça montait ». L. se trouve donc à nouveau dans une situation où l’objet féminin » ferme la porte « à la discussion et ou l’objet masculin est menaçant, rappelant la situation familiale antérieure où la passivité était sans doute de mise dans un contexte d’interdit d’expression d’affects. Son droit à exister serait à nouveau bafoué. L. se retrouve dans une relation où il est à nouveau dans l’obligation de se soumettre (c’est sa femme qui le pousse au mariage, et il se sent moins libre de faire ce qu’il veut que son père avec sa mère). Situation intolérable qui réactive la menace déjà vécue antérieurement dans la relation parentale et familiale. L’alcool représenterait alors une solution devant la nature psychotique de l’angoisse qui risque de le déborder. L’addiction de L. serait alors à comprendre dans le sens donné par Monjauze (2000). L’alcool, pour L. serait un équivalent de décharge motrice prolongeant la tentative de résolution de tension, et libérateur de l’angoisse du fait même de l’action désinhibitrice du produit. Car pour L., le problème semble bien là. Il gèle ses affects, n’ayant pas les ressources nécessaires à les mettre en mots, mais à un moment le barrage risque de sauter par une explosion émotionnelle, un trop plein. L’alcool semblerait donc ici jouer le rôle de soupape permettant une « décompensation » momentanée afin de maintenir un état généralisé de protection de soi par un mécanisme d’inhibition qui le mettrait à l’abri de la relation intrinsèquement menaçante pour L.
Cette prise d’alcool ne serait donc pas utilisée pour lutter contre une dépression consécutive à la perte d’objet, mais bien contre un mouvement pulsionnel qui risque de détruire le sujet en cas de débordement. L’alcool permettrait de maintenir un Moi dans une lutte contre le débordement par les affects. En quelque sorte, l’alcool viendrait soutenir le principe de réalité par la décharge de la pulsion dans une recherche de préservation de l’existence du sujet et faisant office « d’élixir de vie ». La toxine remplirait donc un rôle de régulateur émotionnel qui lui permettrait de maintenir une inhibition. Inhibition qui le mettrait ainsi à l’abri à la fois du débordement émotionnel, source de danger physique et de la relation vraie, source de danger psychique. L’alcool aurait alors le rôle de pare-excitation qui soulage les tensions, organise la personnalité et régule l’humeur par un cycle » pharmaco thymique « , comme l’a décrit S. Rado (1975, p.603-618.).
Discussion et limites
Discussion
De cette étude, on peut penser que l’alcool servirait donc à pallier une défaillance du Moi. Défaillance qui serait provoquée par une carence de la fonction contenante et pare-excitation de l’objet primaire empêchant à l’enfant l’accès à la rêverie et à l’expression de ses affects. Un surinvestissement du sujet par l’objet, combiné à un événement réel traumatique, projetterait le sujet de façon violente et précoce dans la réalité. Le Moi serait alors entravé. Les contre-investissements inadéquats, suite au traumatisme, ne viennent pas atténuer cette expérience. L’objet détruit trop brutalement ne sera jamais retrouvé. Le processus de subjectivation ne pourra donc se faire totalement et les processus secondaires s’en trouveront entravés. L’affect se trouvera non représentable : « L’autonomie insuffisante du Moi et la toute puissance du Surmoi font qu’aucun des deux principes régulateurs (plaisir/déplaisir) de l’appareil psychique ne parvient à s’imposer. L’appareil psychique obéit au fonctionnement du troisième principe, celui de la réduction des tensions au niveau le plus bas » (Chabert, 2011, p.97). Cette réduction des tensions au niveau le plus bas s’exprime ici par une inhibition généralisée qui en cas de risque de débordement pulsionnel, pourra être retrouvée par l’action désinhibitrice de l’alcool qui permettra la décharge pulsionnelle. Le sujet se trouverait dans l’incapacité de s’adapter aux exigences pulsionnelles, l’alcool venant l’aider tout du moins à les supporter. La souffrance de l’angoisse est telle que même le déplaisir provoqué par la prise intense et chronique d’alcool ne vient pas entraver le plaisir de la décharge de la pulsion permettant un retour à un niveau minimal de la tension. La suppression de cet objet d’addiction pose donc la question de la survie psychique du sujet, qui risque d’augmenter ses processus de gel des affects, dans le but d’annihiler l’angoisse. Paradoxalement, l’affect douloureux lié à cette angoisse trouve, dans la relation d’objet à la fois son origine et sa solution. L’objet et sa relation à lui sont menaçants pour le sujet, mais en même temps ils sont porteurs de la solution, s’ils étaient investis (Carton, 2011).
Par ailleurs, notre étude par l’analyse des différents éléments formels recueillis, nous oriente vers une compréhension de l’organisation psychique de L. en rapport avec la psychose blanche décrite par J.L Donnet et A. Green (1973). Ils définissent la psychose blanche comme « une structure invisible, rarement pure, toujours en deçà ou au-delà de ce que sa dénomination tente de cerner. [….]. Elle pourra facilement passer pour un état dépressif plus ou moins névrotique, ou pour un état limite, ou même se tapir sous un tableau plus manifestement évocateur d’une évolution psychotique sans signes patents » (Ibid., p.264). La psychose blanche se définie alors en fonction de trois paramètres : l’organisation œdipienne, la relation d’objet et le fonctionnement mental. L’organisation œdipienne est dans ce cas préservée, mais avec une profonde différence dans la triangulation. Les deux parents, tout en gardant leurs différences, vont se trouver identifiés selon un critère, qui ne sera pas celui de leur identité sexuée, mais selon leur qualité bonne ou mauvaise. L’objet tiers reste, mais il n’est que le reflet du mauvais objet déguisé en bon et donc non-investissable par la sujet. La réalité de l’objet est donc bien perçue, bien que déformée, et elle reste soumise à une appréciation que ne peut corriger l’expérience de la pensée. « Puisque le sujet n’est pas sans l’objet et puisque le bon objet se trouve toujours en passe d’être perdu, le sujet se trouve comme séquestré par le mauvais objet. [….]. Encadré par le mauvais objet qui le contient, il s’efface pour ne pas apparaître semblable à ce mauvais objet » (Donnet et Green, 1973, p.268). Dans le cas de L., l’objet féminin est représenté par l’objet maternel vécu comme mauvais objet, ce qui provoquerait une tendresse envers l’objet masculin représenté par l’image paternelle, mais dans une relation non investie.
En effet, certains éléments d’entretiens, non liés directement à nos hypothèses, ainsi que certains résultats aux tests projectifs semblent aller dans ce sens. Confusion entre l’oncle et la tante : il nous dit dans un premier temps que c’est un oncle qui lui a révélé son accident infantile, puis dans le deuxième entretien, il nous affirme que c’est une tante. Cette confusion des genres ne nous aurait pas interpellé si, au TAT, cette même confusion et ce télescopage des objets n’étaient pas de nouveau apparus (planche 8BM). Le télescopage des objets à la planche 1 du TAT, la » punition » exprimée à la planche 2, le peu de réactivité à la planche IV du Rorschach, et l’occultation de l’aspect phallique de la planche VI, nous laissent penser que la nature structurante du complexe d’œdipe ne s’est pas pleinement réalisée. L’agressivité exprimée aux planches 6BM et 13MF et qui ne se retrouve ni au Rorschach, ni au TAT dans les planches à évocation paternelle, semble aller dans le sens d’une angoisse de castration vécue comme venant de la mère et non du père. L., sans doute du fait d’antécédents de frustrations importantes (effet de l’accident) et d’agressivité intense prégénitale, a sans doute déformé de façon paranoïde les images parentales précoces, ce qui expliquerait aussi en partie son retrait de la relation, les deux objets étant devenus mauvais car menaçants. L’agressivité initialement projetée sur la mère provoquerait un manque de différenciation objective entre les divers objets. » Les craintes et les interdits œdipiens des pulsions sexuelles à l’égard de la mère sont puissamment renforcés par les craintes prégénitales de cette mère et il se développe une image typique d’une mère dangereuse et castratrice. De même, la projection de l’agressivité prégénitale renforce les craintes œdipiennes du père et en particulier l’angoisse de castration, ce qui en fin de compte renforce ensuite l’agressivité et la crainte prégénitale » (Kernberg, 1979, p.70). L’objet maternel devient donc bien plus menaçant que l’objet paternel, exprimé par des élans de tendresse prégnants vis-à-vis du père et une agressivité vis-à-vis de la mère. Ce phénomène, L. l’exprime à maintes reprises : la mère est toujours décrite comme le bourreau, le déclencheur des mauvaises décisions ou des parcours de vie négatifs. Elle est responsable de son accident, responsable de son mauvais choix d’orientation scolaire, responsable de la dissolution de l’association avec son père, responsable enfin de la vente de la ferme (elle a poussé le père à vendre), du départ vers le sud ( » c’est elle qui voulait « ), responsable enfin du surmenage du père ( » elle est proche de ses sous « ) qui arrêterait » si seulement elle voulait bien lui dire deux mots « . Toute la colère de L. se trouve projetée sur la mère, alors qu’il exprime des mouvements de sollicitude, et de tendresse pour son père vieux et » malade du cœur et qui a la polyarthrite « , » qui mange des cachets contre la douleur « . L’aspect castrateur du père « bœuf » est comme oblitéré alors même, faut-il le rappeler, qu’il buvait » quinze verres de vin blanc par jour « , » quand il passait à table, on ne pipait mots », » nous envoyait des roustes » et se met facilement en colère. L. semble se trouver ici dans la » position féminine « , dans une tentative de séduction du père, ce qui expliquerait le télescopage d’objets et de rôles retrouvés dans ses réponses aux tests projectifs, particulièrement au TAT.
Limites
Une des limites essentielles de notre travail repose sur le nombre d’entretiens et la courte durée de la relation avec L. Le peu d’entretiens, en effet, n’a pas permis d’explorer plus profondément l’histoire adolescente du sujet, ce qui aurait pu nous donner des éléments supplémentaires quant-aux vécus affectifs, entre autre avec ses sœurs et avec l’ouvrier handicapé moteur. De plus, un prolongement de la durée thérapeutique aurait été nécessaire afin d’approfondir le fameux accident infantile dont les circonstances semblent dans un premier temps inconnues à L., puis finalement on se rend compte, au fil des entretiens, qu’il sait tout de cette question. Serait-ce un souvenir écran cachant une réalité bien plus profonde ? Nous n’avons pas eu la possibilité d’approfondir cette question. Le petit nombre d’entretiens n’a pas permis non plus de pouvoir essayer de faire revenir à la surface des souvenirs, des sentiments, des affects remontant à l’enfance par l’intermédiaire d’un transfert qui, peut-être, aurait su rejouer quelque chose dans une relation de confiance marquée d’empathie. En effet, une relation contenante aurait certainement donné la possibilité à L., par une confiance éprouvée envers l’objet, de « rejouer quelque chose qui a manqué » (Winnicott, 1970). L. commençait tout juste au bout de cinq semaines à investir sa relation avec le groupe, mais aussi avec l’équipe thérapeutique (il commençait même à faire de l’humour).
De plus, le cadre institutionnel dans lequel s’est déroulée notre étude, le groupe et le nombre d’intervenants dans le cadre de la postcure alcoolique de L. limitent et dispersent le transfert. Positif pour le sujet, dans son étayage, la relation transférentielle n’a donc pas pu se construire à partir d’un objet unique de transfert, ce qui a sans doute minimisé la mise en place de la relation, et donc l’accès plus approfondi du sujet à son organisation, qui, sans le recours aux tests projectifs, ne nous aurait pas été aussi accessible. La relation est malheureusement restée superficielle, cantonnée au factuel qui, malgré le fait que cela semble être dû à la psychopathologie de L., aurait pu être plus impliquante pour le sujet par un investissement d’objet plus important.
Les tests projectifs nous ont ici apporté une aide précieuse quant-à la compréhension de la psycho-dynamique de L. En effet, ils nous ont donné les moyens de dépasser l’agrippement au factuel des entretiens, constaté après-coup, bien que ceux-ci auraient dû être effectués plus précocement, dans le but de mieux appréhender les entretiens. Entretiens dont le but d’appréhension de la subjectivité de L. s’en trouvait in facto corrompu, démontrant (s’il le fallait encore) l’importance et la pertinence de l’utilisation de tests projectifs en tant qu’outils indispensables lors d’études de sujets addict, tout du moins concernant les sujets dépendants alcooliques.
Une étude future, qui mettrait en place une relation plus longue (par sa durée) ou plus intense (par la méthode), nous donnerait sans doute la possibilité d’établir une relation transférentielle moins neutre, et non pas une relation « de surface ». Relation qui serait alors profitable à notre appréhension de la pathologie du sujet, et donc à la compréhension de la dynamique psychique de la personne dépendante alcoolique, notamment par l’analyse approfondie du processus de transfert et de contre-transfert.
Enfin, une étude similaire avec une personne alcoolique de sexe féminin présentant idéalement les mêmes caractéristiques que L., vis à vis de son inhibition, pourrait mettre plus en lumière les différents aspects topiques et psycho-dynamiques du complexe d’œdipe et des processus de représentations d’objets à l’œuvre pour les sujets présentant une dépendance alcoolique.
Conclusion
Dans cette étude, nous avons pu constater la multiplicité des interprétations théoriques possibles quant à la dépendance alcoolique. Le cas particulier de L. montre que la maladie d’alcool semble bien être une pathologie de la relation et d’ouverture au monde. L’alcool semble donc être une solution, pour certains patients marqués par une impossibilité d’ouverture à l’autre, une automédication destructrice, mais salvatrice. Le cas de L. illustre bien, par ailleurs, l’impact des objets premiers et de l’environnement social sur le développement de la maladie d’alcool avec présence d’un événement déclencheur (la rencontre avec l’objet alcool), ici de façon assez tardive. La prise d’alcool deviendrait donc par la suite la réponse « idéale » du patient à toutes les situations ou expériences de vie vécues comme traumatiques par le sujet, qu’il s’agisse de perte amoureuse, de la perte de travail, ou encore d’un déménagement. La spécificité du produit alcool est, tout du moins dans le cas de L., qu’il est pris comme substance antidépressive, mais que cette même substance provoque à terme une dépression, ce qui pose un problème majeur de la prise en charge. En effet, si l’arrêt de la prise est nécessaire afin de permettre un travail psychothérapeutique, ce même arrêt élimine l’outil que le patient avait trouvé pour se soigner, d’où la question du remplacement de ce substitut : oui mais par quoi ? L’effet boomerang de l’arrêt n’est-il au final pas aussi dangereux, voir plus dangereux, que la prise elle-même si le patient est ramené dans son milieu naturel et familial ? Comment espère-t-on qu’un patient souffrant d’une pathologie de la relation puisse, à sa sortie de centre, faire la démarche d’aller à la rencontre d’un thérapeute ?
L’étude de cas de patients alcoolo-dépendants, nous semble particulièrement intéressante pour la compréhension et l’appréhension de la psychopathologie de la relation. L’alcool, ou « l’arbre qui cache la forêt » d’une psychopathologie, met à l’épreuve notre savoir théorique, notre subjectivité et nos outils méthodologiques d’analyse. Le clinicien face à ces patients devrait pouvoir mettre en « suspension » son cadre, son statut, et son savoir afin de pouvoir permettre à sa subjectivité de s’exprimer dans une relation d’écoute et d’observation du patient. Observation et écoute le plus a-théorique possible, afin justement de mieux théoriser après coup sur le matériel recueilli, dans le but d’appréhender au mieux une psycho-dynamique particulière et unique propre au sujet, permettant par-là même de mieux appréhender la spécificité du patient et donc sa pathologie.
Nous avons ici choisi une approche psychanalytique. Cette approche, pertinente quant à nos hypothèses au niveau analytique, nous interroge sur la possibilité d’une autre approche qui aurait été plus soucieuse de l’autre. En effet, notre stage s’est effectué en 2013, dans une spécialité clinique affiliée au courant théorique psychanalytique. Hors, après un an d’étude faite dans une autre approche, nous nous sommes rendu compte que l’approche phénoménologique avait intimement plus de résonnance et nous était plus familière. Le contexte professionnel n’ayant pas permis de refaire un stage, je n’ai pas voulu travestir mes données recueillies. Après coup, nous nous rendons compte que l’approche phénoménologique aurait été favorable à une analyse plus proche du patient, ce qui aurait permis de nous positionner dans une relation moins intrusive vis-à-vis de L. ; ce qui n’a certainement pas favorisé pour lui l’acceptation d’Autrui autrement qu’à son habitude, c’est-à-dire autrement qu’en termes de menace. En effet, une approche plus phénoménologique aurait d’une part été favorable à un recueil de données plus riches au niveau du ressenti de L., de ses émotions vis-à-vis de son vécu, et d’autre part, sur un plan thérapeutique, l’approche a-théorique a priori aurait sans doute été positive dans la tentative de faire vivre à L. une relation non pathogène.
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